Un tour de Corse

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Pieds dans la Méditerranée et tête dans les nuages, la Corse a réuni les bonnes fées à sa naissance. Mais que seraient toutes les séductions de la nature, maquis et châtaigneraies, criques, plages et pics de grès, villages fortifiés ou églises baroques, sans le meilleur produit de l’île, l’âme corse ?

Cette année, Jean-Claude Rogliano est mécontent : il n’a tué que deux pigeons, trois cailles et pas un seul sanglier. « L’année prochaine, j’espère faire mieux », déclare d’une voix posée cet écrivain de soixante-dix ans. Outre sa pétoire à la crosse patinée, l’infatigable conteur aime la pipe, mais celle d’autrefois « en buis, avec le tuyau en noyer ». Il nous accueille dans sa demeure, Les Tours de Tevola, dans le village de Carchetu. « Des tours du XIIIe siècle dont il a relevé les ruines », précise-t-il. Au menu, madame Rogliano propose cuissot de sanglier de la dernière battue et pâtés de merle gorgé de baies sauvages.

Novembre en Castagniccia est l’époque du ramassage des châtaignes. Elles tombent dans les filets par le biais de la gravitation universelle, ce qui a longtemps permis aux fabricants d’histoires drôles de laisser entendre que les Corses étaient paresseux. Le gros travail commence par le séchage dans le fucone, au-dessous duquel brûlent des branches de châtaignier. Jean-Claude trie les châtaignes et les passe à la meule de pierre. Il en vient une farine aussi fine que du talc, d’une couleur beige clair typique de la région. Il explique que bien des Corses ruraux exercent plusieurs activités, dont celle d’agriculteur à l’occasion. Ce sont les Génois qui imposèrent à chaque famille de paysans d’assurer l’entretien d’un châtaignier. Aujourd’hui, leurs fruits font surtout la joie des cochons corses, qui labourent du groin la châtaigneraie à leur recherche. Eté comme hiver, en semi-liberté, voire en divagation, les succulents pourvoyeurs de la réputée charcuterie corse sont égorgés à l’automne, après avoir été « mis à la châtaigne » durant quelques semaines. Elle donnera parfum et fermeté à la viande, qui sera débitée et fumée pour l’hiver sous diverses formes : les figatellu (saucisses de porc), la coppa (échine de porc), le lonzu (longe de porc salé et séché) et le prizuttu (jambon sec).

De larges tranches de pain coupé avec du sangui, ce boudin corse assaisonné de raisins sec et d’herbes des montagnes, est-ce là le secret de la longévité de Jean-Claude ? « Eh que non, répond-il, sans hésiter. Si je suis en forme, c’est grâce à Dieu et à l’eau d’Orezza. » Cette source, qui jaillit avec beaucoup d’autres entre Piedicroce et Rapaggio, est exploitée depuis l’époque romaine. Reconnue d’intérêt public par décret impérial du 7 février 1866, c’est néanmoins à Pascal Paoli qu’elle doit une part de sa célébrité : le héros de l’indépendance corse séjournait chaque année au couvent d’Orezza pour boire les eaux. Devant l’atelier d’embouteillage, un kiosque abrite une vasque couleur rouille, témoignage d’une forte teneur en fer. Farouchement corses mais dépeuplés, les petits villages perchés se remplissent à la belle saison avec les pinzutti (continentaux) à l’accent pointu et les étrangers.

Au cœur de la forêt de Vizzavona, Philippe a transformé sa demeure, U Castellu, en hôtel restaurant. Il supervise les fourneaux. Avec la myrte, la châtaigne, la polenta et les cochons noirs, il participe à la pérennisation d’une cuisine régionale qui attire de plus en plus de touristes. Sans oublier l’éblouissante carte des vins corses. Raphaël Pierre-Bianchetti, le sommelier, conseille d’abord un rouge, un clos Canarelli 1999, droit, d’une grande honnêteté avec une pointe de caractère rebelle, et ensuite un blanc, une cuvée Alexandra 2001, domaine de Tanella, à base de Vermentinu, sec et fruité, à la distinction toute florale.

La route qui mène à Corte nous conduit tout droit à la pâtisserie d’Edmond Casanova, ouverte par son arrière-grand-père. Quel coup de grâce que le bonheur des desserts : le moelleux tiède à la châtaigne et aux noisettes et la tarte aux herbes du maquis !

La Corse est aussi riche d’un patrimoine moins connu, façonné par des mains anonymes : chapelles, églises villageoises, tours génoises jalonnent toute l’île. Sans oublier les « maisons d’Américains », des folies de milliardaires corses revenus d’Amérique du Sud ou des Antilles dans les années 1920. La villa Floride ou le castel Brando, à Erbalunga, témoignent du retour au pays de ces jeunes gens pauvres partis faire fortune dans le Nouveau Monde et les nouvelles républiques sud-américaines.

Les musées reflètent une histoire riche en rebondissements : le musée napoléonien et le musée Fesch, à Ajaccio, qui possède une collection de primitifs italiens ; le musée d’ethnographie corse à Bastia ; le musée d’anthropologie régionale de Corte… A mi-chemin entre Bastia et Ajaccio, au centre de l’île, Corte fut la capitale de la Corse entre 1755 et 1769, date de la victoire des troupes de Louis XV. Entre-temps, les Génois avaient cédé la propriété de l’île au roi de France… la citadelle, perchée comme un nid d’aigle, surveille les vallées de la Restonica et du Tavignano. La ville revendique le statut de capitale historique et intellectuelle de la Corse. Seule ville universitaire de l’île, Corte compte 4 000 étudiants pour 6 400 habitants. L’étroitesse des rues et l’austérité des demeures de notables construites dans un schiste verdâtre cadrent mieux avec une image de bourg de montagne fréquenté par les alpinistes et les randonneurs.

C’est d’ici qu’ils rejoignent le célèbre GR 20, qui relie Calenzana à Conca en seize jours de marche. A la sortie de Corte, la bergerie de Pierre Gambini est une halte gourmande pour déguster le fromage de chèvre. « L’abandon progressif des bergeries provoque la disparition des sentiers de bergers », déplore-t-il. Quand arrive juin, il part jusqu’à l’automne avec chèvres, chevreaux et chiens en transhumance vers son estive, à 1 700 mètres d’altitude. Les fromages sont descendus à dos de mulet. Les Gambini régaleront les visiteurs avec le fiadone, sorte de flan au brocciu, spécialité de son épouse.

Lentisque, myrte, ciste, les puissants arômes du maquis nous conduisent à la cascade des Anglais. Frédéric Fresi, guide de haute-montagne, nous emmène à la découverte d’une des plus belles forêts de Corse, celle de Vizzavona, domaine des pins Laricio aux troncs hauts de plus de 30 mètres.

Sur 183 kilomètres de long et 84 kilomètres au plus large, il est aisé de parcourir l’île de beauté, du nord au sud et d’est en ouest : le « cap-pe corse » et Saint-Florent, Calvi, l’île Rousse et la Balagne, la Castagniccia et Porto. Les pics des calanches de Piana, hauts de 300 mètres, modelés par le temps et le vent, ressemblent aux paysages des estampes chinoises. Depuis la route taillée dans le granit, l’œil suit les plongeons d’une roche aux mille nuances de rouges qui se détache sur le bleu de la mer. L’étroite départementale 18 où se promènent quelques vaches, puis la 84 à Carstirla qui longe le cours du Golo mènent à la Scala di Santa Regina, un canyon vertigineux, sombre où il ne doit pas faire bon de tomber en panne.

On pourrait ainsi mettre au point un tour de Corse touristique gourmand qui se terminerait par les chemins du Sud. Un conseil : emportez une bonne carte, les tagueurs locaux ayant une prédilection pour les panneaux indicateurs écrits en corse ou en français barbouillé !

 PRATIQUE

Office de tourisme de Corte

www.corte-tourisme.com

Mahala Travel crée des voyages personnalisés originaux, voyages uniques qui s’appuient sur un réseau de partenaires rigoureusement choisis.

Tél. : 04 72 65 93 94

www.mahala-travel.com

Où dormir ?

Les Tours de Tevola 

Gîtes ruraux aménagés dans une tour du XIIe siècle à Carchetu

Tarif/semaine : de 290 à 490 euros

Tél. : 04 95 31 29 89

www.tevola.com

U Castellu 

Chambres doubles, 70 à 150 euros.

Vizzavona, 20219 Vivario

Tél. : 04 95 30 53 00

www.hotel-ucastellu.fr

Alimentation/ Produits corses

 A Casa Curtinese

9, rue de l’Eglise

20250 Corte

Pâtisserie/ Spécialités corses 

Casanova

6, cours Paoli

20250 Corte

Tél. : 04 95 46 00 79

Auberge U Fragnu

Couvent d’Alando

20212 Alando

Tél. : 06 12 23 76 11

Produits corses 

Realia

Sa créatrice, Muriel Crestey, crée des cosmétiques naturels avec les herbes du maquis de la Costa Verde : thym, menthe, laurier, romarin, myrte. Grâce à un conditionnement sous vide d’air, ces produits cosmétiques sont formulés sans conservateurs.

Tél. 04 95 36 04 46
www.realia-cosmetic.com

Activites sportives et de plein air

Objectif nature

Avec Louis Azara

Tél. : 04 95 32 54 34 ou 06 12 02 32 02

www.objectif-nature-corse.com

Parc aventure Vizzavona

Ouvert du 15/6 au 15/9

Découverte des plus belles forêts de Corse, initiation à l’accrobranche (de 4 à 90 ans), au rafting…

Réservations : 04 95 37 28 41 et 06 85 03 19 90

www.corsicanatura.fr

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Lonely Planet Corse

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